La stratégie “donnant-donnant” brille par sa régularité et sa prévisibilité. Ces deux caractéristiques renforcent la confiance mutuelle entre les partenaires. Elles font aussi que, dans un réseau, toutes les relations ne se valent pas. Des relations nourries sur le long terme par des actes coopératifs répétés valent potentiellement plus que des relations nouvelles. C’est une leçon que les serial networkers des réseaux sociaux comme LinkedIn et Viadeo feraient bien de méditer. A quoi sert d’avoir des centaines de connexions dans son réseau si rien ne se passe après les avoir ajoutées ? Un tel réseau social se comporte comme un cerveau dans lequel aucun influx nerveux ne circulerait entre les neurones.
Régularité et prévisibilité sont donc, si l’on peut dire, les deux mamelles de la stratégie “donnant – donnant”. Elles peuvent être sérieusement contrecarrées par nos passions, réactions impulsives et chaotiques.
Qui d’entre nous n’a jamais répondu de manière brusque à un e-mail mal compris parce qu’il était de mauvaise humeur à ce moment-là pour une raison complètement étrangère à l’émetteur du message ?
Ce genre de comportement crée des malentendus qui sont autant de fausses notes dans la coopération.
Sur le long terme, cependant, le fait, pour des partenaires, d’être capables de surmonter ces soubresauts, renforce la confiance. Après tout, nous ne sommes qu’humains.
Une tentation, pour résister aux dommages nés des passions, peut être de les contenir. Et parfois, il n’est pas possible de réagir immédiatement. Pour illustrer mon propos, je vais examiner un cas personnel. Il m’est arrivé, il y a peu, qu’un partenaire contrevienne à l’une de mes valeurs cardinales, le goût de liberté. Le comble est que ce partenaire voulait probablement me faire plaisir. Il s’agissait en l’occurrence de l’organisation d’un événement en mon honneur, mais auquel je m’étais opposé parce que les conditions ne me paraissaient pas réunies. Croyant bien faire, en me faisant une bonne surprise, mon partenaire est passé outre mon opposition. En cela, il m’a en réalité “agressé”. Ma réaction a été de faire bonne figure pendant l’événement, et d’exploser quelque temps plus tard, hors contexte, vis-à-vis de mon partenaire. Je n’ai pas pu réagir immédiatement et avec la même intensité à ce que j’avais perçu comme une agression. Tout s’est passé comme si je n’étais pas arrivé à suffisamment communiquer mon intérêt (voir ma liberté respectée). Mon explosion décalée dans le temps fut totalement inintelligible pour mon partenaire.
Ce que montre cet exemple, c’est d’abord que la coopération est parfois perturbée par un bruit de fond émotionnel en chacun des participants. En tenir compte permet de repartir sur un mode coopératif, même après une défection. Ce qui compte, c’est la qualité de la relation sur le long terme.
En deuxième lieu, le fait de ne pas pouvoir ou de ne pas vouloir répliquer à une défection d’un partenaire crée une charge émotionnelle. Si les charges émotionnelles s’accumulent, elles se libèrent parfois au plus mauvais moment. Je renvoie en cela à la théorie de l’analyse transactionnelle d’Eric Berne.
Autrement dit, répondre impulsivement à un partenaire ou se retenir de réagir (ou être retenu), c’est prendre le risque de tomber de Charybde (les passions) en Scylla (la retenue des passions). Tout est question de dosage et de timing pour exprimer et rendre intelligible ses passions, qui imprègnent nécessairement les relations.