Quand le financement participatif veut libérer Frédéric Chopin

Frédéric Chopin by Eugène Delacroix, Musée du Louvre
Portrait de Frédéric Chopin par Eugène Delacroix, Musée du Louvre

Musopen est une organisation à but non lucratif qui s’est fixée pour mission de mettre à disposition des contenus musicaux libres de droits : enregistrements, partitions et manuels de musique. En 2010, elle avait réuni 68 359 $ (soit largement plus que les 11 000 $ qu’elle avait demandés) sur Kickstarter pour embaucher un orchestre international réputé  : ce faisant, Musopen a enregistré et libéré les droits de symphonies de Beethoven, Brahms, Sibelius et Tchaikovsky.

Aujourd’hui, Musopen s’est lancée un bien plus vaste défi : enregistrer et rendre publiques gratuitement (de manière libre de droit) les oeuvres complètes de Frédéric Chopin.

Quelques explications s’imposent. Certes, cela fait 164 ans que Chopin est mort. Sa musique est donc dans le domaine public depuis bien longtemps. Toutefois, comme l’explique Musopen, la plupart des gens continuent à la consommer comme si elle était toujours soumise à des droits d’auteur : sous la forme de CD, sur iTunes ou via des vidéos YouTube (dont nombreuses sont celles qui font l’objet de copyrights).

La nouvelle campagne de levée de fonds a pour but de recruter des interprètes de talent pour enregistrer la totalité des 245 oeuvres de Chopin, puis de les mettre à la disposition du public de manière libre, sous la forme de vidéos en haute définition et de fichiers audios de très bonne qualité (échantillonnés en 24 bits à 192kHz).

Pour y parvenir, Musopen a besoin de recueillir $75 000. A ce jour, elle a déjà réuni 71 384 $. Autant dire que le pari est en passe d’être gagné, puisque la campagne court jusqu’au 20 octobre 2013. Mais il n’est jamais trop tart pour bien faire : découvrez le projet sur la page Kickstarter “set Chopin free”.

Mise à jour du 18 novembre 2013

La campagne est terminée. Elle a permis de lever 92 452 $, soit 17 452 $ de plus que ce qui était demandé !

Un site malin pour les amoureux de musique : Whyd

Whyd, the place for music lovers
Whyd

Mercredi 9 juillet, nous avons eu le plaisir d’assister à la première table ronde de la conférence “Les start-ups réinventent-elles l’industrie musicale ?”, organisée par Whojamlive et Polyphony à l’ESCP-EAP. Dans ce billet, nous revenons sur la présentation du service Whyd par son fondateur, Gilles Poupardin.

Gilles Poupardin est ce qu’il est convenu d’appeler un serial entrepreneur, avec plusieurs start-ups à son palmarès dans le domaine de la culture et de la mobilité. Il est aussi connu sur la scène parisienne de l’entrepreneuriat pour être le co-créateur des Aperoentrepreneurs.

Sa nouvelle inititative, Whyd, est très maline. Tout d’abord, elle réjouira les music lovers, comme aime à les appeler Gilles Poupardin. Whyd part du principe suivant : aujourd’hui, les sources pour découvrir et partager de la musique sur le Web sont fragmentées. Entre Deezer (qui était également représentée à la conférence en la personne de son PDG France, Simon Baldeyrou), YouTube, Soundcloud, et j’en passe, les passionnés n’ont que l’embarras du choix pour découvrir le nouveau son qui va les faire vibrer. D’un autre côté, les outils de partage (Twitter, Facebook et consort) ne sont pas adaptés à la musique : sitôt écouté, le titre que l’on y découvre plonge dans les limbes du flux, sans qu’il soit aisé de le retrouver.

Face à ce constat, Whyd se présente comme the place to be for music lovers (Gilles Poupardin ne rechigne pas à parler anglais : la moitié des abonnés de Whyd sont déjà hors de France, moins d’un an après son lancement). L’idée est de pouvoir collectionner, caractériser par des tags, classer ses titres et albums préférés (“curer” un contenu musical, pour reprendre ce néologisme du Web social) en un endroit unique, quel que soit leur source. Sur Whyd, on peut créer des playlists associant indifféremment des sources issues de YouTube, Soundcloud et les autres, en faire un flux (“stream”) et l’écouter directement sur la plate-forme. Le partage de la musique est aussi simplifié : pour savoir ce qu’aiment vos amis en termes de musique, il suffit de se connecter sur leur profil Whyd, et l’ensemble des pépites musicales qu’ils ont découvertes vous sont accessibles.

Ce service, actuellement encore en beta sur invitation, est malin pour les utilisateurs, car il est très pratique. Mais il est aussi malin d’un point de vue économique, puisque Whyd n’a pas eu à négocier quoi que ce soit avec des maisons de disque ou des ayants droits : il ne fait que consolider des sources stockées par des services tiers, en utilisant les API qu’ils mettent à disposition !

Gilles Poupardin ne s’attarde pas sur la description de son modèle économique. A ce stade, son objectif est d’offrir un service de la meilleure qualité possible, qui attire une vaste audience de réels passionnés de la musique, dont une grande part du budget loisir est consacré à cette passion. Son pari : de la présence d’un grand nombre de passionnés ayant un pouvoir d’achat naîtra une audience susceptible d’intéresser des partenaires, et donc monétisable.

Whyd est une idée qui séduit par sa simplicité. Elle rend un vrai service aux passionnés de musique. Réussira t-il à attirer la masse critique d’utilisateurs nécessaire à son décollage ? Rendez-vous dans quelques mois pour le savoir !

Wiki Art : oeuvres collectives en quête d’auteur ?

Crowd, photo de James Cridland

L’une des caractéristiques du Web 2.0 tel que décrit par Tim O’Reilly est son caractère “éditable” ou “piratable” (hackable en anglais). Les sites, services et applications se construisent par touches successives, en recomposant en permanence des briques existantes. C’est tout le sens des mash-ups (agrégation de contenus tirés d’autres sources) ou des applications utilisant les API d’autres services Web (Google Maps, Twitter, etc.)

Cette tendance n’est pas seulement technique, elle est comportementale. Le Los Angeles Times analyse dans son article
“Essay: Technology changes how art is created and perceived”
comment elle se traduit dans le domaine de l’art.

L’article prend plusieurs exemples. L’un d’entre eux est le Johnny Cash project. Il s’agit d’un site hommage à Johnny Cash sur lequel les internautes sont invités à construire collectivement un vidéo clip pour le titre “Ain’t no Grave”. Les internautes peuvent soumettre un dessin pour chaque image du clip et/ou voter pour leurs dessins préférés. Le résultat de ce processus de création collective (crowdsourcing) sera le clip final.

Un autre exemple est Reality Hunger, un ouvrage de David Shields réalisé comme un collage de 600 fragments tirés d’autres livres.

Le phénomène du “remix”, les reprises, dérivations, enrichissements d’oeuvres existantes, ont pris avec le Web 2.0 une ampleur sans précédent. Certes, les oeuvres inspirées de travaux antérieurs ne sont pas nouvelles. Le pop art a fait quant à lui du détournement un mode opératoire délibéré, que l’on pense à Andy Warhol ou Lichtenstein, par exemple. Mais jusqu’à présent un individu était à l’oeuvre, imprimait le plan d’ensemble de la reprise ou du collage, lui donnait son intention. C’est encore le cas de Reality Hunger. Mais la somme des retouches apportées par mille mains non coordonnées sur une initiative telle que le Johnny Cash project sera t-elle animée par un esprit donnant sa cohérence à l’ensemble ? On aboutirait alors à une oeuvre pas forcément anonyme (les participants peuvent laisser leur nom ou un pseudo) mais apersonnelle (ne reflétant aucune individualité) sinon impersonnelle ; une oeuvre aux milles contributeurs mais sans auteur. Sauf à penser que la collectivité soit mue par un inconscient collectif et que l’oeuvre reflète une personne transcendant la multitude…