Pour tous ceux qui s’intéressent à la pensée visuelle et à la datavisualisation, David McCandless est un véritable guide spirituel. Journaliste, designer et écrivain anglais, ce touche-à-tout précurseur d’une nouvelle science visuelle du langage était présent à Paris dans le cadre de ExpoViz pour nous livrer quelques secrets de son art.
Retour sur cette intervention d’un génie à la fois drôle, innovant et éminemment pertinent.
Datavision : la genèse d’un ouvrage de référence pour la dataviz
David McCandless a toujours aimé récolter des données. D’ailleurs, c’est la première chose qu’il a fait lors sa conférence : « combien d’entre vous travaillent dans le graphisme ? » A peu près 50 % des personnes présentes lèvent la main. « Combien dans la rédaction ou le journalisme ? » L’autre moitié lève la main.
Parfait ! Le compte est bon et les ingrédients pour une bonne datavisualisation sont réunis car la dataviz est avant tout un mélange de données et d’histoires mêlées de façon harmonieuse dans un visuel.
Ce n’est pas pour rien que le titre original de l’ouvrage de David McCandless est Information is Beautiful (adapté sous le titre Datavision en France aux Éditions Robert Laffont).
L’idée du livre (ou plutôt des travaux qui le composent) a frappé David McCandless en 2007. Perdu au milieu des quantités d’informations qu’il recevait quotidiennement, il s’est dit qu’une carte (map) l’aiderait à s’y retrouver.
Grâce à son site Web www.informationisbeautiful.net , il a donc commencé à récolter des données sur des sujets qui l’intéressaient avec l’objectif (encore flou) d’en faire des visualisations.
Ainsi commence l’histoire.
Les idées avant les données
Les deux ou trois premiers mois qui ont suivi son idée de départ, David McCandless s’est contenté de réfléchir. Il n’a fait aucun design, aucun croquis. Il a seulement utilisé un tableau Excel pour recenser ses multiples idées ( « j’aimerais faire quelque chose sur l’Inde, quelque chose sur les ovnis », etc.)
Il a ensuite fallu « masser, triturer et jouer » avec ces idées pour qu’elles révèlent leur potentiel et trouvent de la pertinence. C’est une opération indispensable car, « si vous vous attaquez à vos idées sans concept, sans fil d’or, vous vous noierez dans l’océan des données ». En effet, les données ne sont rien si elles ne sont pas rattachées à une histoire, elles n’ont aucun sens. Il faut au préalable savoir ce qu’on va leur faire dire.
Ce n’est qu’une fois l’idée mûre qu’on peut se demander comment mettre les données à son service et en faire un visuel.
Le processus de création d’une datavisualisation
Le premier concept sur lequel a travaillé David McCandless était la théorie de l’évolution. L’idée était de réussir à présenter les deux thèses adverses que sont le créationnisme et l’évolutionnisme.
Cependant, la première chose à faire était de comprendre convenablement ces deux thèses très obscures au premier abord. Pour cela, pas de secret : des recherches et encore des recherches.
« Une bonne datavisualisation, c’est 80 % de recherches et 20 % de production »
Par exemple, pour réaliser le “Billion Dollar-o-Gram”, David McCandless a dû réaliser un travail colossal de journaliste. Tout est parti d’un étonnement sur les “milliards de dollars” qui s’étalent dans les articles de presse et qui s’égrainent à longueur de journée sur les ondes. A quoi correspondent finalement ces sommes faramineuses, dont le monde semble être plein ? En multipliant les recherches sur Google et en recensant minutieusement les dépenses et les gains importants (>1 milliard de dollars), McCandless a cherché un moyen de comparer entre elles ces sommes que, finalement, nous ne parvenons pas à nous représenter. Résultat : les 227 milliards de dollars de la dette africaine ne semblent pas être une somme si impressionnante à côté des 3 000 milliards de dollars qu’ont coûtés les guerres en Irak et Afghanistan… Cependant, comment en rendre compte visuellement ?
Une fois les connaissances assez pointues, on peut envisager les premiers croquis. Le croquis permet de se représenter personnellement un concept et de commencer à structurer
Ainsi, après avoir rempli son tableau Excel avec les données de ses enquêtes sur les « milliards de dollars », David McCandless a commencé à dessiner des petites boites qu’il a agencées et empilées, jusqu’à arriver à son résultat final en travaillant avec un graphiste.
Le poster est éloquent mais une animation façon “Tetris” l’est encore plus pour constater les disproportions.
Pourquoi la datavisualisation ?
La datavisualisation nous montre qu’on peut « jouer » avec les données tout en obtenant des résultats très éloquents. Dans certains cas, on peut se passer du sérieux des tableaux, graphes, etc. sans nuire à la qualité de l’information, au contraire.
« L’objectif de la datavisualisation est de remettre les informations à un niveau humain pour que nous puissions les comprendre ».
La datavisualisation est un nouvel angle de diffusion des informations qu’il faut s’autoriser. D’ailleurs, au delà des comparaisons chiffrées, David McCandless nous montre qu’il est possible de parler d’opinions, de « pensées intérieures », grâce à la datavisualisation.
Pour preuve, sa visualisation des gouvernements de gauche et de droite.
La dataviz gagne de plus en plus de terrain
La dataviz a clairement le vent en poupe. Aux USA, Barack Obama l’a beaucoup utilisée dans sa campagne et, au Royaume-Uni, elle alimente de plus en plus les journalistes.
David McCandless a d’ailleurs collaboré à beaucoup de datavisualisations parues dans The Guardian : ce sont des viviers de réflexions.
Par exemple, cette datavisualisation révèle qu’il n’y a pas de corrélation entre les meilleurs scores de l’extrême droite et l’implantation des populations non blanches au Royaume-Uni. On constate qu’une fois les faits rendus visuels, les stéréotypes ne se vérifient pas et une vraie réflexion de fond peut-être entamée.
« La datavisualisation, en plus de s’éloigner ou de zoomer sur un phénomène comme avec une caméra, permet de voir l’invisible »
En somme, la datavisualisation est un nouveau moyen de la connaissance à partir des données.
A ce sujet, chacun peut se faire sa propre idée car, si une datavisualisation est honnête, elle est transparente. Les internautes ont les moyens d’aller voir et vérifier les données brutes (et 20 % d’entre eux le font).
N’oublions pas qu’un chiffre doit toujours être mis au regard d’un autre.