Répondant à l’invitation de Michel Duperrier de Sparkling Point, j’ai pu m’exprimer hier soir sur l’impact sociétal de l’effervescence actuelle dans le monde de l’Internet 2.0. Qu’est-ce que les innovations liées aux blogs, aux sites Web ouverts comme les wikis, aux réseaux sociaux et à la mobilité changent au juste dans nos rapports sociaux ? Je m’excuse auprès de tous ceux qui n’auraient pas été informés de cette présentation, mais la salle étant très petite et le seuil d’inscrits ayant été rapidement atteint, je n’ai pas pu la relayer en avance sur ce blog. En revanche, voici un compte-rendu (schématique) des sujets qui ont été abordés.
En 10 ans, l’Internet grand public a connu trois grandes phases : le Web du libre accès à l’information, puis la déferlante du e-commerce et enfin, aujourd’hui, l’Internet social, celui du libre accès à la publication. Des outils comme les blogs, les wikis, les réseaux sociaux, permettent aux individus de s’exprimer et de tisser entre eux des liens très facilement. Alors que le Web 1 créait des liens entre des pages HTML, le Web 2.0 crée des liens entre les gens. Mais Internet n’est pas le seul moteur de cette mutation. La téléphonie mobile, qui s’est beaucoup développée en parallèle, tend à fusionner le monde virtuel et le monde physique. Aujourd’hui, nous sommes tous, toujours, partout joignables et connectés. L’arrivée d’Internet sur les mobiles et le développement de la messagerie instantanée et des dispositifs de gestion de sa “présence” renforcent ce phénomène.
Ainsi, on peut aujourd’hui distinguer trois types d’individus :
L’individu “traditionnel”, dont les relations s’établissent essentiellement avec sa famille, ses collègues, sa communauté religieuse, son club sportif…S’il est internaute et utilise le courriel, la messagerie instantanée, voire des blogs, c’est essentiellement pour communiquer avec sa sphère sociale “physique”.
“L’internaute affranchi” va un peu plus loin en fréquentant des forums, des salons de chat, etc. Il a appris à gérer une identité physique distincte de son ou ses identité(s) virtuelle(s). A l’extrême, on trouve le cyber-schyzophrène pour qui l’identité virtuelle tend à l’emporter sur l’identité physique (cas de certains joueurs addictifs dans les jeux en ligne de type “mondes permanents”)
“L’individu hypersocial” gère avec virtuosité identité physique et identités virtuelles. Il s’entretient régulièrement sur des blogs, wikis et autres plates-formes avec des personnes qu’il n’a jamais rencontrées physiquement. Bien sûr, il continue à fréquenter ses contacts dans le monde hors ligne et les retrouve aussi sur Internet. Blogueur, wikiste, il intervient sous son vrai nom ou avec des pseudonymes, selon ses envies. Il a développé un talent nouveau, celui de la gestion harmonieuse de ses sphères sociales en ligne et hors ligne.
Qui n’a pas googlé une personne avant de la rencontrer pour préparer un rendez-vous ? Aujourd’hui, la plupart d’entre nous sommes référencés sur Internet, que nous le voulions (cas des blogueurs notamment) ou non. Le phénomène du “cache” dans Google fait qu’il devient difficile de se cacher. Même si les pages qui parlent de vous sur Internet ne sont plus en ligne, elles sont toujours accessibles dans le cache des moteurs de recherche. De même, les réseaux sociaux rendent visibles qui vous êtes, ce que vous avez fait mais aussi qui vous connaissez. L’époque est donc à la transparence. Il devient de plus en plus difficile de contrôler ce qui est visible de soi sur la Toile. Bientôt, ce sera impossible. Ainsi, autant la télé-réalité est le royaume de l’artifice, autant la transparence absolue est elle en train d’advenir sur la Toile.
Tout cela change notre rapport aux connaissances, dans le double sens du terme : le savoir et les personnes que nous connaissons. Des phénomènes tels que la création de conversations en ligne, l’importance de la réputation viennent questionner notre quotidien. Nous sommes tous amenés à reconsidérer notre rapport entre vie publique et vie privée. Enfin, la gestion du temps social devient un enjeu crucial : comment gérer ses sociabilités multiples, en ligne et hors ligne ?
Si l’individu est interpellé, il en va de même de la collectivité. La libre expression de tous, la co-création du savoir sur des sites comme Wikipédia remettent en cause nos conceptions traditionnelles de ce qu’est la connaissance. Des phénomènes comme les flash mobs, l’échange d’informations par SMS (par exemple lors de la crise du SRAS en Chine ou lors des émeutes en banlieue en France) sont des révélateurs d’une intelligence collective qui déborde des canaux habituels.
Bien sûr, l’économie s’en trouve secouée. Par exemple, le marketing viral, l’intelligence économique, la communication de crise deviennent des activités essentielles dans les entreprises. Certains secteurs doivent se restructurer et redéfinir leur offre de valeur, que l’on pense aux médias ou à l’industrie musicale.
Ce grand mouvement est en train de donner naissance à de nouvelles activités économiques et de nouveaux métiers. Le management de la visibilité et de la réputation devient une des composantes du pilotage de sa carrière. Inversement, demain, des “effaceurs” se proposeront peut-être, moyennant finances, de prendre en charge l’effacement de vos informations personnelles dans les moteurs et la préservation de votre intimité. Une autre évolution à prévoir est l’apparition d’une exo-sociabilité : c’est-à-dire l’apparition de rapports sociaux avec des machines intelligentes et communicantes. L’enjeu sera alors de ne pas tout mélanger : ne pas s’énerver devant son interlocuteur électronique qui a du mal à comprendre vos émotions et ne pas non plus se comporter avec ses semblables comme s’il s’agissait de robots…
L’Internet 2.0 est peut-être porteur d’une nouvelle fracture numérique : une séparation entre ceux pour qui la technologie est libératrice et ceux pour qui elle est aliénante. Les nouvelles technologies sont un formidable outil d’autonomie et d’émancipation pour de nombreuses catégories de personnes : les minorités (politiques, religieuses, sexuelles), les personnes âgées, les handicappés, les timides, les enclavés, les exclus des réseaux traditionnels…Inversement, elles peuvent être sources d’enfermement, pour les timides encore une fois, mais aussi pour les non lettrés qui ne maîtrisent pas le véhicule écrit, encore dominant sur la Toile malgré l’apparition des podcasts et videocasts.
Pour terminer, la réunion Sparkling Point était bien une preuve que l’internaute est un animal social : il a besoin de rencontrer ses semblables autre part que derrière un écran, autour d’un verre, dans le monde physique. Les notions d’hypersociabilité et d’hypervisibilité posent en des termes nouveaux des questions anciennes : ce qui est dit de moi, ce qui est visible, montré, est-ce moi ou une simple représentation de moi ? Décidément, encore et toujours, “je est un autre”.
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